Chers amis de la PI,
Comme certains le savent déjà, j’ai participé aux deux premières rencontres organisées par divers collectifs universitaires avec Michel Amram de l’école de la Neuville sur le thème : Soigner le milieu. Avec la Pédagogie institutionnelle. (La troisième, prévue d’abord à Bruxelles, aura lieu à l’école de la Neuville le 7 janvier prochain). À l’origine, Jacques Pain participait à l’organisation de ces rencontres. Mais le Covid a tout chamboulé et Jacques est décédé en janvier 2021. Ces deux premières journées furent donc aussi l’occasion de lui rendre hommage.
Lors de ces rencontres, nous avons vu de larges extraits du film Une si belle équipe de Michel Amram et Fabienne d’Ortoli, un film si long qu’il est en trois volets, prochainement disponibles en DVD. Les sous-titres :
° Le maître, l’universitaire et l’école caserne
° La classe coopérative
° L’autorisation.
J’ai donc vu les deux premiers films. Je les trouve bien faits, à la fois du point de vue historique et du point de vue pédagogique. Les réalisateurs y ont inclus des interventions de Françoise Dolto et de Fernand Oury que nous connaissions de précédents films, ainsi que des commentaires récents de Jacques Pain.
On sent chez les enseignants filmés (dont Raymond Fonvieille), l’enthousiasme qu’ils avaient, après mai 68, à travailler avec les techniques Freinet et la PI. Avec une large partie du public de ces deux journées, je fais partie de cette génération qui y a cru et pourtant, cinquante ans après, on a l’impression que tout est encore à faire. Dans une conclusion comme toujours un peu bousculée par les horaires, j’ai entendu ce constat : « Nous avions cru avancer. On voit tout ça être balayé par d’autres théories ! »… Comme une déception que je ressens parfois aussi. Oui, il n’est pas question de « chemin triomphal » quand on voit la désaffection des enseignants pour les stages et les livres : tant de travail, de compétences, de témoignages qui ne demandent qu’à être partagés, transmis… et qui semblent ne plus intéresser. Cela ne date pas d’hier car je me rappelle le soupir de Fernand Oury, à l’un des derniers stages auquel il a participé, début des années 90 : « On a des cadeaux plein les bras, et ils n’en veulent pas ! »
Mais Mireille Cifali concluait : « Chacun à sa place peut faire le mieux. »
Les diverses interventions m’ont permis de mieux connaître Jacques Pain. Marie-Anne Hugon m’a appris que Jacques ne voulait pas faire école ni avoir de liens de dépendance ; qu’il évitait d’être dans la fonction de sauveur ou donneur de leçons. De l’intervention d’Alain Vulbeau, j’ai retenu que Matrice était une réponse à une dette de Jacques envers Fernand Oury (le premier livre édité a été Éducation et psychothérapie institutionnelle de François Tosquelles) ; que Matrice a pu devenir le liant entre les différents groupes de PI car Jacques n’appartenait à aucun d’eux (cela me rappelle la rencontre PI à Nanterre en 2009 : Jacques avait su réunir plusieurs centaines de personnes, appartenant aux divers groupes de PI, qui ont échangé entre eux dans de multiples ateliers). Gilles Monceau a parlé de l’analyseur « argent », analyseur social qui n’est pas un tabou dans la PI, et qui ne l’était pas pour Jacques non plus. Bernard Defrance a souligné le côté politique de la pédagogie par ce travail de construction de la loi…
Au hasard des différentes interventions, j’ai noté ces mots que Jacques aimait répéter : « La pédagogie, c’est du politique » ; « Attention : être humain ! » ; « Parler en tant que… » ; « La révolution ne se fait pas à 16 h. Mais ici et maintenant. Commence par toi-même. »
« – …, ça vous apprend une chose : qu’est-ce qu’une ceinture bleue. (La majorité des Français n’a pas la ceinture bleue !) »
À Genève, j’ai découvert Daniel Hameline, un nom qui m’est familier depuis les cours de Jeanne Moll : à 91 ans, il a ébloui les auditeurs par la finesse de sa pensée et son humour. Quelle chance de vieillir ainsi !
Dans mon atelier de l’après-midi, j’ai vu (en visio) Pierre Cieutat, co-créateur de Pidapi. Je quittais l’école au moment où Pidapi arrivait sur le marché, il y a une vingtaine d’années, et je n’ai donc vu ces fichiers que de loin, sur les étagères de certaines classes vosgiennes. J’en ai aussi entendu parler, de-ci, de-là, et c’étaient parfois des critiques, ce qui contredisait le fait que je voyais des classes s’en servir, mais je ne les avais jamais regardés de plus près. Qu’est-ce donc que Pidapi ? En combinant l’idée du fichier programmé de Freinet et celle des ceintures de la PI, une équipe d’enseignants de Montpellier a créé un outil pour le travail individualisé des classes coopératives, mais utilisable dans n’importe quelle classe, Freinet ou pas. (Tout comme le site dessins-découpages.fr, réalisé par Michel Bonnetier et quelques passionnés de géométrie, où il ne faut pas non plus montrer patte blanche et qui, en plus, est gratuit !) Après avoir distribué des photocopies de ceintures et d’exercices à droite et à gauche, comme nous l’avons tous fait un jour ou l’autre, les auteurs, réunis en Association, ont créé une véritable édition, jusque-là plébiscitée car utile aux enfants et aux adultes : ainsi, Pidapi prépare la huitième édition (et le site dessins-découpages a reçu le 40 000e visiteur) … Les fichiers Pidapi sont payants, mais l’Association Pidapi organise, dans le 34, des stages de formation gratuits et autogérés qui, semble-t-il, rencontrent aussi du succès.
Alors je reste songeuse : ici et là, des individus et/ou des équipes réussissent à créer une petite entreprise à partir d’un outil utile à la classe et/ou aux enseignants (je pense aussi à Matrice, la maison d’édition créée par Jacques Pain). À quoi tiennent ces réussites ?
Des livres de PI, dont ceux de Jacques Pain, étaient en vente au coin librairie. J’ai acheté celui intitulé : La non-violence par la violence et je viens d’en terminer la lecture. Comme je regrette de ne pas avoir pu en parler avec Jacques ! Parmi les divers textes écrits entre 1980 et 1999 qui composent ce livre, celui qui m’a le plus touchée, c’est De l’angoisse à la violence : la situation critique car je le mets en relation avec mon tout dernier texte, Des crises à la parole[1], qui est comme une illustration de la recherche de Jacques sur les dérapages en situation critique. Je me suis rendue compte, après coup, que c’est ce texte, et non pas Émilie, que j’aurais dû présenter à Genève au moment de l’atelier monographie, car il m’a semblé, dans la discussion qui a suivi, que c’étaient plutôt les problèmes de violence qui préoccupaient les enseignants présents.
Vous avez tous vu le programme de ces deux journées, je ne reviens donc pas sur toutes les interventions. Beaucoup de beaux hommages à Jacques Pain à Nanterre ; une très intéressante table ronde à Genève à partir de questions pertinentes sur l’actualité de la PI. Je me sentais en accord avec Mireille Cifali : « Prendre soin de son histoire et de ses projections est un travail psychique passionnant… dans la mesure où nous acceptons de ne pas savoir ». Les constats d’Anouk Ribas sur l’école française actuelle avec ses classes sans professeurs, ses injonctions contradictoires et les répressions actuelles ont failli me déprimer ! Mais j’ai été ravie d’entendre Françoise Budo (en visio) nous exposer les éléments concrets et bien pensés de leur pratique PI avec de jeunes adultes, futurs professeurs de collège et de lycée, à l’École Tenter Plus, HELMO Sainte Croix de Liège, un travail initié par Jacques Cornet et Claudine Keffer. J’ai pu observer cette école pendant une semaine, il y a une dizaine d’années. J’ai donc entendu avec plaisir que dans ce lieu au moins, ça continue bien. Ainsi qu’à l’école de la Neuville, dont Michel Amram a parlé dans l’atelier de l’après-midi. Pour le moment, car tout est toujours si fragile. Ou précaire… C’est vraiment comme les champignons, quelle bonne image !
En conclusion : C’était une grande joie pour moi de retrouver les anciens de la PI, même s’ils étaient moins nombreux que ce que je pensais. J’ai été honorée de pouvoir présenter une monographie dans une université suisse (pays d’origine de ma mère). J’ai été heureuse d’entendre la PI reconnue dans ces hauts lieux, cela permettra peut-être une sensibilisation de futurs enseignants… et décideurs ! On continue d’y croire même si, comme dit mon ami Raphaël, la PI étant du côté de l’engagement humain, ça reste un chemin difficile. Et nous sommes si peu de choses, ajouterait peut-être Jacques Pain…
Un grand salut amical à toutes et tous !
Que la nouvelle année permette à chacune et chacun « d’œuvrer de manière constructive dans la vie avec calme et confiance » (comme le dit l’éducateur japonais Tsunesaburo Makiguchi cité par Jacques dans la conclusion de son livre sur la violence).
Marguerite Bialas, décembre 2022
[1] Bialas, M. (2022). Des Crises… à la parole. Dans C. Prévot, D. Morin, D. & P.-J. Laffitte. Épistémologie et étique. Entre sciences de l’éducation et praxis pédagogiques. L’année de la recherche en sciences de l’éducation 2021, 313-322. Paris : L’Harmattan.